« Maitre Torkhus… que faisons-nous ici ? Nous devrions préparer des troupes pour prendre Mézidon… demanda Beg’Tev, son vieux corps étant fatigué par une longue marche dans les bois.
– Je sais bien, abruti. C’est bien pour ça qu’on est là. Il faut renforcer nos troupes.
– Pour une simple forteresse et quelques soldats…
– Il y avait de vieux rapports dans la réserve de Bazemont. Ils parlaient d’un empire elfe…
– Vous… savez lire ?
– Quoi, tu pensais être le seul, chaman ?
– N… non… Glaven aussi le peut… »
Le vieux gobelin accéléra la cadence, car le chef orc marchait vite.
« Cet empire elfe était très puissant avant que les humains ne viennent le détruire. D’après ce que j’ai lu, les elfes du coin ont encore gardé les techniques de l’époque.
– C’est une bonne chose. Elle me permettra de devenir encore plus fort ! »
Beg’Tev frappa la terre de son bâton.
« Mais nous ne gagnerons pas avec trois gobelins et un orc. Si nous courions comme des idiots devant leurs murs, nous finirions en pièce. »
La forêt devenait éparse et l’herbe moins dru. Beg’tev avançait avec peine, si bien qu’il se fit fabriquer un palanquin et porter par d’autres gobelins.
Glaven marchait à ses côtés, équipé d’une armure de cuir rapiécé confectionné avec le butin du pillage de Grae. Il regardait Torkhus du coin de l’œil. En plus de sa force, il semblait incroyablement intelligent pour un orc. Il allait être un allié de poids… et un adversaire effroyable.
Les arbres se firent de plus en plus rares jusqu’à ce qu’ils arrivassent dans une vaste clairière. Au centre se trouvait un troupeau d’élycères, des sortes de sangliers colossaux d’un mètre cinquante au garrot et dotés de cornes enroulées sur elles-mêmes. Une mousse noirâtre poussait sur leur dos. Leur mâchoire large et puissante arrachait les arbustes, les fougères et les chardons aussi facilement que l’herbe. Pour supporter cette masse, ils n’avaient pas moins de huit pattes, quatre de chaque côté avec trois articulations et des muscles saillants.
Au centre, un individu deux fois plus gros que les autres et au pelage blanc-crème broutait tranquillement tandis que ses congénères maintenaient une certaine distance avec lui.
« Nous les utiliserons comme monture.
– Ils ne se laisseront pas faire aussi facilement !
– Je m’occuperai du mâle dominant. »
Torkhus jeta un caillou dans sa direction. Le gros monstre n’apprécia pas d’être dérangé dans son repas ; des veines bleu foncé pulsaient dans ses yeux globuleux. Ses naseaux dilatés par la colère, il fonça vers eux.
« Il vient vers nous ! Protégez-moi ! » ordonna Beg’Tev.
Torkhus lança une autre pierre, plus grosse, pile sur le front de l’animal. Désorienté, il dévia de sa route et marcha sur deux pauvres gobelins. Ils furent broyés, leurs os déjà fins se brisèrent comme de vulgaires fétus de paille et leur chaire fut réduite en lambeaux. Beg’Tev et Glaven sautèrent dans un fossé pour y échapper.
Le chef orc bondit et saisit les cornes de l’élycère. Avec une agilité que sa masse ne laissait pas présager, il passa par-dessus la bête et lui frappa le dos de ses deux mains jointes, là où la mousse noire était la plus épaisse.
L’élycère poussa un hurlement et chancela, sans se rendre compte que Torkhus prenait place sur son dos et serrait ses jambes sur ses flancs. Le reste du troupeau, d’abord agressif, s’approchait maintenant des gobelins en baissant la tête.
« Voilà, c’était pas si dur. » déclara Torkhus avec un grand sourire. Beg’Tev et Glaven, toujours dans leur fossé, n’osaient pas encore en sortir.
« Mettez-leur du cuir sur le dos, là où cette mousse recouvre leurs poils, et ils nous obéiront. Prenez vos meilleurs gobelins et montez-les sur ceux que mes orcs n’auront pas pris. Avec ça, nous aurons une trentaine de cavaliers lourds. »
Les yeux jaunes de Beg’Tev brillèrent, à moitié caché sous son grand chapeau à bord.
« Ce sera un carnage. Les hommes arrogants ramperont à nos pieds. »