Astela

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Anasteria regrettait déjà de ne pas avoir eu plus le temps de visiter Astela. Après l’attaque de Vari, tout était allé très vite. Ils avaient comblé le reste du voyage à une allure soutenue, en dépit de leurs bleus et blessures. Mais le peu qu’elle avait pu apercevoir avait enchanté ses yeux. Astela n’avait rien à voir avec aucun des villages, et villes qu’ils avaient sillonnés pour l’instant. Les habitations s’étendaient à perte de vue dans un mélange de couleurs et de styles qui étincelaient sous les rayons des soleils jumeaux. Le joyau de l’empire se trouvait être un brassage de différentes cultures qui avait traversé les âges : de la Méridie, en passant par les anciens elfes, et Lakrige, sans oublier l’influence naine. La ville grouillait de ce mélange, et de cette activité qui l’accompagnait. Pour la première fois de sa vie, Anasteria comprit réellement ce que cela voulait dire de vivre dans l’empire d’Ignis, dans une nation où la magie fait partie du quotidien. Les mages circulaient librement dans les rues pavées de la capitale, arborant leurs différents uniformes. Même des échoppes vendaient des artefacts magiques, et des ingrédients pour des préparations. Mais le plus imposant, c’était sans nul doute la Flèche. Ce magnifique édifice au centre de la ville surplombait tous les autres bâtiments de plusieurs dizaines de mètres, et à son sommet, le cristal de protection continuait de briller et de diffuser son dôme de défense, quasiment imperceptible. Mais Anasteria pouvait sentir la magie se répandre tout autour de la cité, et électriser chaque partie de son corps. Elle ressentit une pointe de jalousie en imaginant Ivona vivre dans cette ville, bercée depuis sa plus tendre enfance par ce lieu merveilleux.

Mais pour l’instant, elle devait ranger sa curiosité dans un coin de son esprit. La journée commençait tout juste, et les quelques rayons matinaux se réfléchissaient sur les pierres blanches de la Flèche, et sur l’imposante statue de Lucia Trivaly qui trônait à l’entrée. Elle aurait aimé l’admirer un peu plus, mais elle avait dû se rendre au plus vite au bureau de Zèfir, située au deuxième étage du bâtiment. Elle n’était pas seule, Ivona, Johan, et Iselia se trouvaient avec elle dans cette somptueuse pièce dont les vitres donnaient sur le centre d’Astela, encore endormie. Cependant, Anasteria ne décrochait pas son regard de l’esprit de feu de Zèfir qui attendait patiemment derrière lui. Est-ce qu’un jour Ryse serait aussi calme ?

 

— Honnêtement, commença Zèfir, je voulais vous dire que vous avez très bien réagi en dépit des circonstances. Je sais que ce n’était pas évident, mais vous avez prouvé que vous possédiez le niveau pour devenir aspirant. Ici, vous serez en sécurité. Vous devriez vous fondre dans la masse, et j’ai espoir que personne ne vous traque à l’intérieur de cette cité.

 

Il lâcha un bref soupir. Lui aussi était affreusement fatigué.

 

— Vous devriez vous reposer un peu, avant que vous assignent quelques missions.

 

Il tendit des parchemins aux trois aspirants avec un faible sourire.

 

— Johan, et Anasteria, on va fournir deux logements dans la capitale. Ivona, puisque ta famille vit en ville...

 

Ivona acquiesça, mais elle ne semblait guère enchantée par l’idée. Anasteria pouvait aisément le comprendre, ce n’est pas comme si elle s’entendait bien avec le reste de sa famille.

 

— En tant qu’aspirant, vous aurez le droit à un salaire, plus petit, mais quand même de quoi subvenir à vos besoins. Quant à Iselia…

 

Il marqua un temps d’arrêt et fixa la professeure. Malgré les questions d’Anasteria, Zèfir et Iselia avaient refusé de révéler pourquoi elle avait fini le trajet avec eux. Heureusement pour tout le monde, la curiosité d’Anasteria s’était retrouvée muselée par sa propre fatigue.

 

— Elle sera votre mentore jusqu’à votre confirmation. Comme je vous l’avais dit, on veut que vous rester tout les trois en groupe. Et Iselia va se charger de vous apprendre à devenir chevaliers et vous dirigera lors des missions.

— Vous quittez l’académie ? Demanda surpris Johan. Pourquoi ?

— Je pense que je serais plus utile ici, avoua Iselia. Quelqu’un doit veiller sur vous. Et je vous connais bien. En tout cas, j’aime le croire. Masilda… Je voulais dire : Magistère Fe Dixa se chargera de transmettre les informations à Magistère Pavus.

— Connaissant Masilda, ça sera réglé en un instant, sourit Zèfir. Profitez un peu de ce temps pour vous reposer. Ensuite, vous devriez tous les trois vous entrainer. Les missions ne seront pas de tout repos. On se parlera plus tard, Anasteria.

 

Anasteria acquiesça en silence, mais elle ne se risqua pas à le regarder. Elle avait peur d’imaginer la suite des évènements, même si elle avait conscience qu’elle devait s’entrainer pour ne plus se blesser, et pouvoir se défendre toute seule. Mais pour le moment, elle se sentait acculée par le poids de la fatigue. Et lorsqu’elle quitta le bureau, elle lâcha un lourd soupir. Elle avait hâte de voir son nouveau logement pour plonger dans le lit, même si pour l’instant une partie de ses affaires se trouvaient encore à l’académie.

 

— Anasteria, je crois qu’on devrait parler.

 

Elle grimaça en entendant son nom complet de la bouche d’Ivona. Ce n’était jamais un bon signe. Elle se tourna vers son amie. Cette dernière avait à peine esquissé deux pas depuis la sortie du bureau et se tenait déjà droite, les bras croisés au milieu du couloir.

 

— Ivi, gémit Anasteria, est ce que ça ne peut pas attendre demain ? Je meurs de fatigue…

— Je crois qu’elle a raison, intervint Johan. On doit discuter.

 

Anasteria fronça les sourcils et regarda tour à tour ses deux amis. Elle n’aimait définitivement pas la tournure de la situation.

 

— Sérieusement, ça peut attendre, soupira-t-elle.

— Non, rétorqua sèchement Ivona. J’aimerais savoir sur qui je peux compter en combat avant qu’on ne parte en mission. Et clairement, je ne peux pas compter sur toi.

— Quoi ? s’exclama Anasteria. Bien sûr que tu peux compter sur moi ! Je ne t’ai jamais laissé tomber !

— Alors pourquoi, par Aulus, as-tu laissé Davos s’échapper ?

 

La bouche d’Anasteria resta ouverte un instant sans qu’aucun mot ne parvienne à franchir ses lèvres. Et cette absence d’explication ne satisfait pas Ivona.

 

— Tu avais la plus belle occasion pour finir le combat, Ana ! On a tout fait avec Johan pour le neutraliser, et tu…

 

Ivona se tut, et soupira longuement. Sa posture s’affaissa et Anasteria évita soigneusement le regard de ses amis. Elle se balança nerveusement d’un pied sur l’autre.

 

— Que devais-je faire ? clama-t-elle. Le tuer ? C’était notre ami, pas une ombre !

— C’était, répéta Ivona. Il ne l’est plus. C’est un sombremage. Il est dangereux et doit être stoppé.

— Je… On doit l’arrêter, oui. Pas le tuer !

 

Anasteria s’attendait à recevoir le soutien de Johan. Mais l’expression grave de son ami en disait plus que les mots. Elle le regarda pleine de confusion.

 

— Johan ne me dit pas que tu es d’accord avec elle.

— Ana, soupira-t-il. Je ne veux pas que ça se termine comme ça. J’aimerais aussi que tout redevienne comme avant, et qu’on puisse ramener Davos. Mais il a choisi son camp. Ce n’est pas une victime. C’est à cause de lui que Laurène est morte ! Directement ou indirectement, je m’en fous. Il est la cause de tout ce… bordel. Et je ne pourrais jamais lui pardonner d’avoir mêlé Laurène à tout ça… On doit être prêts si jamais il refuse de se rendre.

 

Anasteria avait rarement vu Johan avec autant de colère dans le regard, mais elle pouvait aisément le comprendre. Johan avait toujours eu des sentiments pour la sœur de Davos. Pour lui, plus que quiconque, la situation devait le déchirer.

 

— Je sais, avoua Anasteria. Je sais que vous avez raison ! Mais je me dis qu’il reste un mince espoir de le faire revenir.

— Ana, soupira Ivona. On n’est plus à l’académie. Tu dois comprendre qu’on va se battre contre des ombres, mais pas seulement. On devra affronter des sombremages, des inquisiteurs, et d’autres humains. Si tu ne peux pas te résoudre maintenant…

— On ne peut pas tuer tous ceux qu’on croise !

— On doit protéger l’empire, rétorqua Ivona. Et te protéger. Les sombremages sont dangereux. Ils sont corrompus et menacent tout ce qu’on essaye de construire. Et Davos est devenu l’un d’eux. Et on le sait, tous les trois, qu’il continuera de te pourchasser.

 

Anasteria serrait tellement fort ses poings que les phalanges de ses doigts viraient au blanc. Bien sûr qu’elle le savait. Elle commençait à se rendre compte du nombre d’ennemis qu’elle devait affronter.

 

— Je sais tout ça, Ivi.

 

Elle s’arrêta un instant, et se mordit doucement la lèvre inférieure. Elle devait mettre des mots sur ce tourbillon de sentiments qui ne cessait de la hanter depuis des mois, même si elle avait du mal à révéler tout ceci.

 

— La vérité c’est que j’ignore quoi faire. Je ne comprends pas ce que j’ai de si spécial qui justifie toute cette attaque, et les précédentes. Et de l’autre côté…

 

Elle défit le bandage qui entourait sa main brûlée. Elle sait qu’elle devrait la laisser respirer, mais elle détestait tellement la vision de sa peau meurtrie qu’elle ne pouvait pas agir différemment. Elle regarda un long moment sa paume et soupira.

 

— Je ne veux blesser personne à cause de mon pouvoir. On a bien vu ce qu’il s’est passé la dernière fois.

— Oui, répondit Ivona. Tu m’as sauvée.

— Tu sais ce que je veux dire ! J’aurais pu vous blesser tous les deux, ce feu était bien trop intense !

— Ana, Zèfir est là pour t’aider à te maitriser. Je sais que c’est injuste ce qu’il t’arrive. Johan et moi en sommes conscients. Mais tu dois malheureusement faire avec, et devenir plus forte. C’est juste le début.

— C’est ce qu’a dit ta mère, hein ?

 

Ivona ne répondit pas. Mais Anasteria devina la suite. Johan passa son bras doucement autour des épaules d’Anasteria, puis d’Ivona, et les attira tous les deux dans une soudaine étreinte. Anasteria lâcha un rire amusé en voyant les yeux écarquillés d’Ivona et sa raideur habituelle.

 

— Écoutez les filles, on sait tous les trois qu’on va avoir des missions compliqués, mais je suis sûr qu’on va s’en sortir. Mais je pense qu’on doit tous les trois progresser. Davos ou Emely sont pour l’instant bien trop forts pour nous.

— Oui, soupira Ivona. On doit s’entrainer.

— Ana, tu te charges d’apprendre à maitriser tes pouvoirs, reprit Johan. Et tous les deux, avec Ivona, on va s’entrainer, et te sauver des sombremages, de Davos, d’Emely, et tout autre ennemi que tu nous as caché.

 

 

 

 

 

Ivona tapota gentiment la main de Johan tandis qu’Anasteria lâcha un rire faible.

 

— Je ne peux pas vous demander de subir ça, rétorqua-t-elle.

— Comme on l’a déjà dit, heureusement pour toi, on te l’impose.

 

Il se tourna vers Ivona et haussa les sourcils comme s’il entendait quelque chose d’elle. Une teinte rouge colora ses joues et elle détourna le regard dans un soupir.

 

— Je suis désolée, marmonna-t-elle. Je ne voulais pas paraitre froide avec toi, Ana. C’est juste qu’on ne sait pas ce qui va arriver, on doit pouvoir compter les uns sur les autres durant un combat. Et je me demandais si tu n’avais pas changé d’avis.

 

Ivona continuait de fixer un point sur un mur voisin plutôt que de regarder ses amis, mais un large sourire apparut sur le visage de Johan.

 

— Non, tu avais raison, répondit Anasteria. Mais je ne vais pas vous laisser. Je… je vais m’entrainer. Je vais maitriser mon pouvoir, et la prochaine fois qu’on les verra tous les deux, je n’aurai aucune hésitation.

 

Un moment passa durant lequel les trois amis s’observèrent. Puis Johan serra un peu plus Anasteria, et reprit sur un ton léger.

 

— Laissons Davos de côté, et pensons au plus important. Ivona, j’ai faim.

— Et qu’est ce que je suis censée faire de cette information vraiment très importante ?

— Tu connais la ville, je suis sûr que tu connais un restaurant.

— J’ai faim aussi, marmonna Anasteria.

— Que les fondateurs me préservent…

 

Ivona leva les yeux au ciel, et se défit de l’étreinte de Johan. Elle avança de quelques pas en silence tandis que Johan et Anasteria se regardaient, esquissant tous deux un air de déception. Ivona avait déjà atteint le bout du couloir que sa voix résonnait de nouveau.

 

— Bon, vous venez ? Je croyais que vous aviez faim.

 

Anasteria partagea un sourire amusé avec Johan, et les deux amis s’empressèrent de rejoindre Ivona. Le Patriarche, Emely, Davos, et tous les autres qui avaient décidé de prendre Anasteria pour cible pouvaient attendre. En temps et en heure, elle s’entrainerait, et deviendrait assez forte pour leur tenir tête… Non. Pour les arrêter. Mais pour l’instant, tout ce qu’elle voulait c’était partager un repas avec ses amis, et s’écrouler dans son nouveau lit.

 

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